Sketch de Jean-Pierre Martinez
Deux personnages. Ils restent silencieux un long moment.
Un – Trop c’est trop ! Maintenant ça suffit !
L’autre le regarde, un peu étonné.
Deux – Euh… Ouais…
Un – J’ai pas raison ?
Deux – Si…
Un – Mais…?
Deux – Rien, rien…
Un – Tu n’es pas d’accord ?
Deux – Si, si…
Un – Non mais vas-y ! Tu n’es pas d’accord avec moi ?
Deux – Si, mais…
Un – Mais quoi ?
Deux – Je trouve que tu exagères un peu, voilà.
Un – Moi ? J’exagère un peu ?
Deux – Tu exagères même beaucoup.
Un – J’exagère beaucoup ? Moi ? Parce que je dis que trop c’est trop ?
Deux – Oui, je trouve que tu exagères. Beaucoup trop, même.
Un – Eh ben merde, alors…
Deux – Ouais…
Un temps.
Un – D’ailleurs… Comment est-ce qu’on peut exagérer trop ?
Deux – Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, tu veux ? Je n’ai pas dit que tu exagérais trop, ce qui serait un pléonasme. J’ai dit que tu exagérais beaucoup trop.
Un – Comment on peut exagérer beaucoup trop, alors qu’exagérer trop, c’est déjà un pléonasme.
Deux – Parce que trop, c’est trop ! On exagère ou on n’exagère pas. On ne peut pas exagérer trop. C’est catégoriel et c’est catégorique. C’est une vérité absolue. Mais exagérer un peu ou beaucoup, ou même beaucoup trop, c’est le ressenti du locuteur. C’est un jugement relatif. Et de ce point de vue personnel et subjectif, il existe une certaine tolérance pour l’exagération.
Un – Ah bon…?
Deux – Le Marseillais, par exemple, a une certaine tendance à exagérer. On tolère qu’il exagère un peu, c’est ce qui fait son charme. Un Marseillais qui n’exagérerait pas assez, ce ne serait pas vraiment un Marseillais. Mais il ne faut pas non plus que les Marseillais exagèrent trop, tu comprends ? Il y a un seuil à ne pas dépasser ! Il y a des limites à l’exagération, quand même !
Un – Euh… Ouais…
Deux – Bon.
Un – En même temps, j’ai seulement dit trop c’est trop.
Deux – Oui. Mais tu as ajouté « maintenant ça suffit ». C’est là où je pense que tu exagères un peu. Ou même beaucoup. (Un temps) Même pour un Marseillais…
Un – Alors tu me trouves trop excessif ?
Deux – Trop excessif, non. Ce serait encore un pléonasme. Disons plutôt un peu trop ou beaucoup trop excessif. Ou mieux très excessif.
Un – Très, trop… C’est pareil, non ?
Deux – Tu n’écoutes pas ce que je te dis, ou quoi ? Trop, c’est l’idée de dépassement d’un seuil. C’est binaire. On est en-deçà ou au-delà du seuil. D’un côté ou de l’autre de la frontière. Et c’est la même chose pour la notion d’excès, qui suppose le dépassement d’une norme. C’est pour ça que trop excessif, c’est un pléonasme. Parce que passé les bornes, il n’y a plus de limites.
Un – Ah, oui…?
Deux – Très, au contraire, c’est une question de degré. C’est progressif. En résumé on ne peut être que d’un côté ou de l’autre de la borne, c’est pourquoi trop excessif est pléonastique. Mais une fois qu’on a dépassé les bornes, on peut s’en éloigner plus ou moins. C’est l’idée de très excessif.
Un temps.
Un – Tu ne crois pas que tu exagères un peu…?
Deux – Excuse-moi, je ne sais pas ce qui m’a pris.
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Trop c’est trop !
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