Sketch de Jean-Pierre Martinez
Deux policiers en civil arrivent, et s’asseyent sur le banc pour boire un café dans un gobelet.
Policier 1 – Tu es sur quoi, en ce moment ?
Policier 2 – La routine. Une mère qui a laissé son gosse se noyer à la piscine.
Policier 1 – Homicide involontaire ?
Policier 2 – Acte manqué, plutôt.
Policier 1 – Et le maître-nageur, il était où ?
Policier 2 – Dans les vestiaires, avec la mère justement. Il était en train de lui apprendre le bouche-à-bouche ? (Un temps) Et toi ?
Policier 1 – Un type qui avait pris dix ans de taule pour le braquage d’un casino. On n’a jamais retrouvé le butin.
Policier 2 – Tout est devenu tellement cher. Les mecs, maintenant, quand ils braqueront une supérette, ils ne prendront pas la caisse. Ils repartiront avec des paquets de pâtes et des bouteilles d’huile.
Policier 1 – Ouais. Non, mais là je te parle d’un vrai casino. Il a dû planquer l’oseille quelque part.
Policier 2 – Et alors ?
Policier 1 – Il vient d’être libéré. On garde un œil sur lui, au cas où il aurait l’idée d’aller récupérer son fric.
Policier 2 – Combien ?
Policier 1 – Dans les cinq millions.
Policier 2 – Le gros lot.
Policier 1 – Le type a dû se dire que c’était plus sûr d’aller chercher ses gains directement au casino plutôt que de miser sur la Française des Jeux.
Silence.
Policier 2 – Pourquoi tu as choisi ce métier, toi ?
Policier 1 – Pour la paye… Non, je déconne. Je ne sais pas. Quand j’étais petit, on jouait aux gendarmes et aux voleurs. Bêtement, je me suis dit que j’aurais plus de chance de pécho avec un uniforme.
Policier 2 – Pas de bol, tu es flic en civil.
Policier 1 – C’est sûrement pour ça que je suis toujours célibataire. Et toi ?
Policier 2 – Moi je suis toujours marié. Pour l’instant…
Policier 1 – Non, je veux dire, toi, pourquoi tu as choisi la police ?
Policier 2 – Pour sauver le monde. Quand j’étais gosse, j’étais fasciné par les super héros. Comme je n’avais pas de super pouvoirs, je suis rentré dans la police. Pour avoir un flingue, au moins. Résultat, tu n’as même pas le droit de t’en servir. Même pour te suicider.
Policier 1 – On aurait dû faire maîtres-nageurs. Tu n’as pas souvent l’occasion de sauver des vies, mais au moins tu peux mater des nanas en maillots de bain toute la journée.
Policier 2 – Maîtres-nageurs, on n’avait pas le physique.
Policier 1 – C’est sûrement pour ça qu’on a fini dans la police. D’ailleurs, il va falloir qu’on y retourne.
Policier 2 – Il est dans le coin, ton braqueur de casino ?
Policier 1 – Les gardiens du square l’ont aperçu ce matin avec une complice. Ils jouaient dans ce bac à sable avec une pelle.
Policier 2 – Au moins, ils ont su garder leur âme d’enfant. On aurait mieux fait de choisir voleur plutôt que gendarme, nous aussi.
Arrive une femme, tenant un paquet de flyers à la main.
Femme – Bonjour messieurs. Vous aimez le théâtre ?
Policier 2 – On serait plutôt séries policières, mais bon…
Femme – C’est une petite comédie qui se joue dans une salle juste à côté, tous les jours sauf le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi et le samedi.
Policier 1 – Tous les dimanches, quoi.
Femme – À 18h37 très précisément. Vous avez de la chance, c’est dans un quart d’heure.
Elle leur tend à chacun un flyer qu’ils saisissent et auquel ils jettent un coup d’œil.
Policier 1 (lisant le flyer) – Mauvaise pièce cherche bon public. C’est le titre ?
Femme – C’est du théâtre d’avant-garde. Genre théâtre dans le théâtre, vous voyez ?
Policier 2 – De quoi ça parle ?
Femme – C’est l’histoire d’un auteur qui s’apprête à écrire sa centième pièce et qui est paralysé par l’angoisse de la page blanche.
Policier 1 – Ça a l’air très chiant, non ?
Femme – Vous savez, moi je ne fais que distribuer les flyers.
Policier 2 – Vous ne jouez pas dedans ?
Femme – Non.
Policier 1 – Mais vous avez vu la pièce, quand même.
Femme – L’auteur ne l’a pas encore écrite. Enfin, c’est ce que j’ai cru comprendre.
Policier 2 – Donc, vous tractez pour une pièce qui n’est pas encore écrite.
Femme – Il a encore un quart d’heure…
Policier 1 – Un quart d’heure ? Pour que l’auteur écrive la pièce, que les comédiens apprennent le texte, et que le metteur en scène leur donne quand même quelques indications ?
Femme – D’un autre côté, il ne met pas la barre trop haut… Mauvaise pièce cherche bon public. J’ai presque l’impression de faire la manche.
Policier 2 – Mais vous êtes payée ?
Femme – Même pas. On m’a juste invitée à la première.
Policier 1 – Ce soir, donc.
Femme – Vous viendrez ?
Policier 2 – Pourquoi pas ?
Femme – Dites que vous venez de ma part. On vous fera une place achetée une place offerte.
La femme s’éloigne.
Policier 1 – Tu comptes vraiment y aller ?
Policier 2 – Non, mais elle avait l’air tellement désespérée.
Policier 1 – Bon, alors au boulot.
Ils se lèvent et sortent.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Brèves de square
Lien vers le recueil pour l’acheter ou le télécharger gratuitement (PDF).

Retrouvez l’ensemble des pièces de théâtre de Jean-Pierre Martinez sur son site : https://jeanpierremartinez.net