Sketch de Jean-Pierre Martinez
Un bureau. Deux employés. On ne sait pas très bien ce qu’ils font, mais ils le font avec une application routinière. L’un d’eux ouvre le courrier.
Un – Tiens, une lettre anonyme…
Deux – Une lettre anonyme ?
Un – Je ne comprends pas… C’est la première fois que ça arrive…
Deux – Vous êtes sûr que c’est une lettre anonyme ?
Un – Elle n’est pas signée, et elle est écrite avec des lettres découpées dans un journal.
Il montre la lettre.
Deux – Ah oui, dites donc… Comme dans les films. Et qu’est-ce que ça dit ?
Un – Il y a un corbeau parmi vous…
Deux (regardant autour de lui) – Un corbeau ?
Un – Non mais ce n’est pas un vrai corbeau.
Deux – Ah non ?
Un – Un corbeau, c’est quelqu’un qui envoie des lettres anonymes.
Deux – Pour dire quoi ?
L’autre jette un nouveau regard à la lettre.
Un – Pour dire… qu’il y a un corbeau parmi nous.
Deux – Parmi nous, ou parmi vous ?
Un – Qu’est-ce que ça change ?
Deux – Parmi nous, ça veut dire que celui qui a écrit cette lettre se trouve parmi nous.
Un – Vous voulez dire… vous… ou moi ?
Deux – On n’est que deux, non ?
Un – Pourquoi l’un d’entre nous aurait-il écrit cette lettre ?
Deux – Je ne sais pas, moi. Pour se dénoncer…
Un – Se dénoncer ?
Deux – Vous avez raison, écrire une lettre anonyme pour se dénoncer…
Un – Ça ne tient pas debout.
Deux – Non…
Un – D’ailleurs, c’est écrit parmi vous.
Deux – Dans ce cas, ça veut dire que le corbeau qui a écrit cette lettre n’est pas le corbeau dont il parle. Mais qu’il écrit pour le dénoncer.
Un – Sans le nommer ?
Deux – C’est vrai que c’est bizarre…
Un – Un corbeau qui dénonce un autre corbeau.
Deux – Comme quoi il peut aussi y avoir des corbeaux parmi les corbeaux.
Un – Attendez, on dirait qu’il y a autre chose, dans l’enveloppe.
Deux – Qu’est-ce que c’est ?
Un – Un papillon…
Deux – Mort ?
Un – Évidemment, mort ! Dans une enveloppe… C’est un papillon mort. Desséché…
Un temps. Ils échangent un regard suspicieux.
Un – C’est vous, le corbeau ?
Deux – Lequel ?
Un – Celui qui a écrit cette lettre !
Deux – Comment le savez-vous ?
Un – J’ai ramené le journal du bureau chez moi, hier soir, pour le lire, et il y avait des lettres découpées à l’intérieur.
Deux – Vous ramenez le journal du bureau chez vous ?
Un – Et vous, vous le découpez !
Deux – D’accord…
Un – De toute façon, on le met au recyclage le lendemain, qu’est-ce que ça change ?
Deux – Rien…
Un – Mais enfin… pourquoi ?
Deux – Pourquoi quoi ?
Un – Cette lettre anonyme !
Deux – Je ne sais pas… On s’emmerde tellement, dans ce bureau…
Un – Oui, ce n’est pas faux…
Deux – En tout cas, il y a bien un corbeau parmi nous.
Un – Alors pourquoi avoir écrit « Il y a un corbeau parmi vous ».
Deux – Pour pas attirer l’attention. Comme on n’est que deux.
Un – Et pour le papillon ?
Deux – Je vous assure que je n’y suis pour rien… Je veux dire… Il est mort de mort naturelle…
Un – Si vous le dites…
Deux – Un papillon, ça ne vit qu’un jour ou deux, alors évidemment… Ce n’est pas difficile d’en trouver un qui soit mort de vieillesse.
Un – Personnellement, je n’ai jamais vu de cadavre de papillon…
Deux – Et quand bien même… Assassiner quelqu’un dont l’espérance de vie n’est de toute façon que d’un ou deux jours… Ce n’est pas vraiment un crime…
Un – Vous trouvez ?
L’autre le regarde avec un air perplexe. Ils reprennent leur tâche routinière.
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Minute, papillon!
Lien vers le recueil pour l’acheter ou le télécharger gratuitement (PDF).

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