Code d’accès

Sketch de Jean-Pierre Martinez

Une femme arrive dans le hall, le traverse et, perplexe, se place devant le digicode de la porte donnant accès à l’escalier. Un homme arrive à son tour et se dirige vers la même porte pour composer le code.
Femme – Excusez-moi… Je peux entrer avec vous… Je n’ai pas le code…
Homme – Euh… Oui… Enfin… Vous voulez dire que vous n’avez pas le code ?
Femme – Oui… C’est ce que je viens de vous dire, non ?
Homme – C’est-à-dire que… En principe, on doit avoir le code pour rentrer dans cet immeuble. C’est justement ça le principe…
Femme – Le principe ?
Homme – Ceux qui ont le code ont le droit d’entrer, les autres non. À quoi ça sert d’avoir un code, sinon ?
Femme – Ah, d’accord…
Homme – Ben ouais…
Femme – Donc vous ne voulez pas me laisser entrer ?
Homme – Ben non…
Femme – Vous me prenez pour une voleuse, c’est ça ?
Homme – Je ne sais pas, moi… Si vous habitiez dans cet immeuble, pourquoi est-ce que vous n’auriez pas le code ?
Femme – Pourquoi ? Le code pourrait avoir changé sans que j’en sois avertie.
Homme – Le code n’a pas changé depuis vingt ans.
Femme – Je pourrais l’avoir oublié !
Homme – C’est le genre de code qu’on n’oublie pas, croyez-moi. Beaucoup de personnes âgées habitent dans cet immeuble, alors on a choisi quelque chose de facile à mémoriser. Même un Alzheimer en stade terminal oublierait sa date de naissance avant d’oublier le code de cet immeuble…
Femme – 1515 ? 14-18 ? 16-64 ?
Homme – 16-64 ?
Femme – 16-64, ça ne vous dit rien ?
Homme – Donc, vous n’habitez pas dans cet immeuble…
Femme – Et votre date de naissance, vous vous en souvenez ?
Homme – Puisque vous n’habitez pas ici, qui venez-vous voir ?
Femme – Mais enfin, ça ne vous regarde pas ! Vous êtes de la police ?
Homme – Non. Mais c’est mon immeuble.
Femme – Cet immeuble vous appartient ?
Homme – J’en suis copropriétaire. Je veille sur la sécurité des gens qui l’habitent. Et sur l’intégrité de leurs biens.
Femme – Je vois… Vous êtes une sorte de milicien, en somme. Méfiez-vous. À la Libération, certains pourraient avoir envie de vous tondre.
Homme – Dites-moi seulement ce que vous venez faire ici.
Femme – Je viens pour assassiner quelqu’un, ça vous va ?
Homme – À quel étage ?
Femme – Parce que ça change quelque chose ?
Homme – C’est juste pour vérifier que vous n’êtes pas encore en train de mentir.
Femme – La petite vieille du cinquième.
Homme – Au cinquième, c’est un couple d’homos et une fille-mère.
Femme – Une fille-mère ? Mais vous vivez à quelle époque ? À la fin du 19ème ?
Homme – Oui, bon, ça va… Je voulais dire une mère célibataire…
Femme – Une mère célibataire… Aujourd’hui, on dit une famille monoparentale, figurez-vous !
Homme – En tout cas, on ne dit pas la petite vieille du cinquième ! Donc vous mentez !
Femme – Évidemment, que je mens. Si j’étais venue pour assassiner quelqu’un, vous croyez vraiment que je vous préciserais l’étage ?
Homme – Ça ne me dit toujours pas ce que vous venez faire ici.
Femme – Au départ, je n’étais pas venue pour tuer quelqu’un, c’est vrai. Mais je dois avouer qu’après vous avoir rencontré, ça me donne des envies de meurtre…
Homme – Très bien, ironisez tant que vous voudrez. Mais tant que je ne saurai pas ce que vous venez faire ici, pas question de vous laisser entrer.
Femme – OK… Je viens voir quelqu’un, ça vous va ?
Homme – Ah oui ? Et qui ça ?
Femme – Le dentiste.
Homme – Vous avez mal aux dents ?
Femme – C’est plus compliqué que ça…
Homme – Quel dentiste, d’abord ? Il y en a au moins trois ou quatre, dans l’immeuble.
Femme – Je ne connais pas son nom. Je veux dire son vrai nom.
Homme – C’est commode…
Femme – Non, justement, ce n’est pas commode. C’est quelqu’un que j’ai rencontré sur le net. Je connais seulement son pseudo.
Homme – Un pseudo ?
Femme – Il m’a donné rendez-vous chez lui, mais il a oublié de me donner le code.
Homme – Il vous donne rendez-vous chez lui, mais il ne vous donne pas le code…
Femme – Il a oublié, je vous dis !
Homme – Hun, hun… Vous n’avez qu’à lui téléphoner.
Femme – Je n’ai pas son numéro.
Homme – Ah, il ne vous a pas donné son numéro non plus. Apparemment, c’est quelqu’un qui tient beaucoup à préserver son intimité… Vous êtes vraiment sûre qu’il vous a invitée à venir chez lui ? Je veux dire, il ne vous a pas donné le code…
Femme – Il m’a donné l’adresse, il m’a dit qu’il habitait au troisième et qu’il était dentiste. Je pense que s’il ne voulait pas me voir…
Homme – Dentiste ? Au troisième… Donc c’est l’adresse de son cabinet. Pas de chez lui.
Femme – Et alors ?
Homme – Cela explique le fait qu’il ait oublié de vous donner le code.
Femme – Et pourquoi ça ?
Homme – Parce que dans la journée, il n’y a pas de code.
Femme – Donc il y a bien un dentiste au troisième.
Homme – Oui.
Femme – Alors vous voyez bien que je ne mens pas.
Homme – En même temps, c’est indiqué sur la plaque.
Femme – Quelle plaque ?
Homme – La plaque qui se trouve dehors à l’entrée de cet immeuble.
Femme – D’accord… Donc, vous ne voulez toujours pas me laisser entrer ?
Homme – Ça dépend… C’est quoi, votre pseudo, à vous ?
Femme – Pardon ?
Homme – Vous avez dit que vous ne connaissez ce dentiste que sous son pseudo. J’imagine qu’il ne vous connaît vous aussi que sous un nom de code.
Femme – Et pourquoi est-ce que je vous donnerais mon numéro de code ? C’est très personnel, non ? Plus que le code d’accès à un immeuble, en tout cas…
Homme – Disons que c’est donnant donnant.
Femme – Alex343.
Homme – Alex343 ?
Femme – Quoi ? Ça ne vous plaît pas non plus ?
Homme – Si, si… Alex343, c’est un très joli nom. (Changeant de ton) Pour une bien jolie personne… Ça donne envie de connaître les 342 autres Alex.
Femme – Vous me draguez, maintenant ? Vous ne manquez pas d’air ?
Homme – Nous sommes partis sur un mauvais pied, mais permettez-moi de me présenter : Domi459.
Femme – Domi459 ? Alors c’est vous ?
Homme – J’espère que vous n’êtes pas trop déçue…
Femme – Non, non, mais… Je ne vous imaginais pas comme ça…
Homme – Excusez-moi pour le code, mais comme en journée, il n’y en a pas…
Femme – Bien sûr.
Homme – Et puis on ne sait jamais à qui on a affaire.
Femme – Vous avez raison. On n’est jamais trop prudent.
Homme – Vous avez trouvé facilement ?
Femme – Oui, oui… Jusqu’à ce que j’arrive devant cette porte en tout cas…
Il lui montre la porte.
Homme – Mais allez-y, je vous en prie…
Femme – Euh…
Homme – Ah oui, c’est vrai… Vous n’avez pas le code… Attendez, je passe devant vous… 39-45, c’est facile à se rappeler…
Femme – Oui, c’est pratique…
Homme – Mais au fait, j’ai oublié de me présenter… Comme vous ne me connaissez que sous mon pseudo…
Femme – Votre nom est inscrit sur la plaque à l’entrée de l’immeuble.
Homme – Ah oui, c’est vrai ! Et vous, votre vrai nom, c’est quoi ?
Femme – Si vous permettez, j’attendrai de vous connaître un peu mieux avant de vous donner le code d’accès…
Ils sortent.
Noir.

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Sketch extrait du recueil Avis de passage
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Retrouvez l’ensemble des pièces de théâtre de Jean-Pierre Martinez sur son site : https://jeanpierremartinez.net

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