Ça va

Sketch de Jean-Pierre Martinez

Deux personnages sont là, le deuxième semble perdu dans ses pensées.
Un – Ça va ?
Deux – Ça va.
Un – Ça n’a pas l’air d’aller.
Deux – Si, si, ça va… C’est juste que…
Un – Quoi ?
Deux – Tu vas me prendre pour un fou…
Un – Dis toujours.
Deux – Tu connais cette phrase : il ne lui manque plus que la parole.
Un – Oui.
Deux – Eh bien ce matin, mon chien m’a parlé.
Un – Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?
L’autre lui lance un regard surpris.
Deux – Qu’est-ce qu’il m’a dit ?
Un – Oui.
Deux – Je te dis que mon chien parle, et toi tu me demandes ce qu’il dit ?
Un – Ben oui.
Deux – Euh… Le scoop, c’est que j’ai un chien qui parle, ce n’est pas ce qu’il dit, non ?
Un – Qu’est-ce que tu voulais que je te réponde, alors ?
Deux – Je ne sais pas, moi. Tu aurais pu de me dire… non mais c’est une blague, un chien ça ne parle pas.
Un – Excuse-moi.
Deux – Tu es vraiment prêt à croire n’importe quoi, toi.
Un – Donc ce n’est pas vrai.
Deux – Si ! C’est absolument vrai !
Un – Bon… Donc je répète ma question : qu’est-ce qu’il a dit ? Je serais curieux de savoir ce que les chiens pourraient bien avoir à nous dire.
Deux – Ce n’était pas une déclaration officielle, non plus. C’était juste une… banale conversation entre mon chien et moi.
Un – Une banale conversation ? À propos de quoi ?
Deux – Eh bien, j’avais commencé à lui dire que…
Un – Parce que tu parles à ton chien ?
Deux – Évidemment ! Tout le monde parle à son chien. Tu ne parles pas à ton chien, toi ?
Un – Je n’ai pas de chien. Il m’arrive de me parler à moi-même, comme tout le monde, mais… Donc tu parlais à ton chien. Et qu’est-ce que tu lui disais, au juste ?
Deux – Je lui disais… Je ne me souviens plus des mots exacts, mais… c’était à propos de sa pâtée.
Un – Sa pâtée ?
Deux – Oui, je lui donnais sa pâtée, comme tous les jours, et à un moment donné, j’ai dû lui dire quelque chose comme… alors elle est bonne la pâtée du chienchien ?
Un – « Alors elle est bonne la pâtée du chienchien ? »
Deux – Oui…
Un – Et alors ?
Deux – Alors il a répondu… « ça va ».
Un – « Ça va ? »
Deux – « Ça va ». Ça voulait dire j’imagine, ça va, elle n’est pas trop mauvaise.
Un – Et après ?
Deux – Après… il a mangé sa pâtée.
Un – C’est tout ce qu’il a dit ?
Deux – C’est déjà pas mal, non ?
Un – Tout de même. C’est un chien qui n’a pas beaucoup de conversation, non ?
Deux – Ouais.
Un – Et tu es sûr d’avoir bien entendu.
Deux – Je t’assure, il a dit « ça va ».
Un – Et depuis il n’a plus rien dit ?
Deux – Rien.
Un – D’un autre côté… si il a dit que ça allait.
Deux – Ouais.
Un – Tu devrais peut-être essayer de lui poser une question moins con, pour voir.
Deux – Comme quoi ?
Un – Je ne sais pas moi…
Deux – Je pourrais lui dire… il fait beau, aujourd’hui, non ?
Un – J’avais dit une question moins con…
Deux – Je ne vais quand même pas lui demander ce qu’il pense des élections américaines ! Ce n’est qu’un clebs, après tout.
Un – Je me demande si le plus simple, ce ne serait pas d’arrêter de lui parler.
Deux – Ouais, peut-être. Mais ça va me manquer de ne plus parler à mon chien. Jusque là je lui parlais, il ne répondait pas. Ça m’allait très bien comme ça.
Un – L’interlocuteur idéal, quoi.
Deux – Et puis j’avoue que j’ai un peu peur.
Un – Peur ? De quoi ?
Deux – De ce qu’il pourrait me dire.
Un – Comment ça ?
Deux – C’est un clébard ! Il y a peut-être des choses que les clébards savent et que nous on ne sait pas.
Un – Des choses ? Quoi, par exemple ?
Deux – Je ne sais pas ! Si je le savais, ça ne me foutrait pas les jetons…
Un – Bon ben… oui. Tu n’as qu’à arrêter de lui parler.
Deux – Ouais… mais il va penser que je lui fais la gueule. Non, franchement, je ne sais plus comment m’en sortir, avec ce chien. Je ferais peut-être mieux de m’en débarrasser.
Un – T’en débarrasser ? Tu veux dire…
Deux – Tu as raison, je ne peux pas faire ça. Abandonner un chien sur une aire d’autoroute, c’est déjà une très mauvaise action, mais alors un chien qui parle…
Un – Ouais…
Deux – Enfin, ça m’a fait du bien de t’en parler.
Un – Tant mieux…
Deux – À plus tard, alors.
Un – C’est ça.
Il sort. L’autre reste un instant pensif, avant de s’adresser au public.
Un – Ouaf ! Ouaf, ouaf ! Ouaf, ouaf, ouaf
Noir.

Logo de la SACD

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.

Sketch extrait du recueil Pour de vrai et pour de rire
Lien vers le recueil pour l’acheter ou le télécharger gratuitement (PDF).

Couverture du recueil de sketchs Pour de vrai et pour de rire de Jean-Pierre Martinez

Retrouvez l’ensemble des pièces de théâtre de Jean-Pierre Martinez sur son site : https://jeanpierremartinez.net

Retour en haut