Sketch de Jean-Pierre Martinez
Il est là, elle arrive.
Elle – Tu me reconnais ?
Lui – Non… Je devrais ?
Elle – Marie !
Lui – Marie… Et on se connaît ?
Elle – On était ensemble à la maternelle.
Lui – À la maternelle ?
Elle – Je crois même que tu étais un peu amoureux de moi.
Lui – Ah oui, c’est…
Elle – Tu ne te souviens pas ?
Lui – Non… En même temps, la maternelle… Mais toi ? Comment tu peux me reconnaître après tout ce temps ? Ne me dis pas que je n’ai pas changé…
Elle – Oui, évidemment, on a beaucoup changé… Tous les deux.
Lui – Mais alors comment…? Si on ne s’est pas vus depuis la maternelle…
Elle – Ah mais parce que moi, je t’ai revu depuis. Pas tous les jours. Par intervalle. Mais je t’ai revu régulièrement.
Lui – Comment ça ?
Elle – J’habitais juste en face, à l’époque. J’y habite toujours. Quand mes parents sont décédés, il y a une dizaine d’années, j’ai repris la maison. Toi aussi, apparemment, tu es revenu habiter chez tes parents…
Lui – Oui, enfin… moi ça ne fait pas très longtemps.
Elle – Trois mois.
Lui – À peu près, oui.
Elle – Mais tu venais les voir régulièrement. Donc… je t’apercevais de loin, de temps en temps.
Lui – Et c’est seulement maintenant que tu m’adresses la parole.
Elle – Je n’osais pas… J’avais peur de te déranger…
Lui – Pourquoi aujourd’hui ?
Elle – Je ne sais pas… J’ai divorcé il y a six mois…
Lui – Ah oui…
Elle – Et toi ?
Lui – Il y a trois mois… (Un temps) Tu le savais ?
Elle – Oui.
Lui – Tu connaissais ma femme ?
Elle – De vue.
Lui – De vue ?
Elle – On était au lycée ensemble.
Lui – D’accord.
Elle – C’est une petite ville.
Lui – Oui.
Elle – Évidemment, ça doit te faire un choc.
Lui – Tu veux dire… mon divorce ?
Elle – De me revoir comme ça, des années après.
Lui – Ah oui… Marie…
Moment d’embarras. Ils ne savent plus trop quoi dire.
Elle – Ferme les yeux.
Lui – Pardon ?
Elle – Ferme les yeux et écoute ma voix.
Il ferme les yeux.
Lui – OK…
Elle lui susurre à l’oreille d’un voix qui se veut envoûtante.
Elle – Marie. Marie Desfossés. On était ensemble en moyenne section. J’avais un manteau rouge, un duffle-coat. J’avais des couettes, et un jour à la récréation… (Elle dépose un baiser sur ses lèvres.) Tu m’as embrassée sur la bouche. Tu ne te souviens vraiment pas ?
Lui (troublé) – Marie… Ah oui, peut-être.
Il rouvre les yeux.
Elle – Évidemment, de me revoir comme ça… Après autant d’années… Je sais bien que j’ai beaucoup changé…
Lui – Ben oui, forcément.
Elle – Moi, du coup… Je t’ai vu grandir…
Lui – Oui. Et même vieillir un peu. Alors évidemment… Ça ne fait pas le même choc.
Un temps.
Elle – On pourrait se revoir…
Lui – Si tu habites en face… On va forcément se revoir…
Elle – D’accord… Je vais y aller alors…
Elle s’apprête à repartir.
Lui – C’est vrai, cette histoire ?
Elle – Quoi ?
Lui – Qu’on était à la maternelle ensemble… et tout le reste.
Elle – À ton avis ?
Lui – Je ne sais pas…
Elle – Qu’est-ce que tu préfères ?
Lui – C’est une belle histoire.
Elle – Alors on n’a qu’à dire qu’elle est vraie…
Elle s’en va.
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Trous de mémoire.
Lien vers le recueil pour l’acheter ou le télécharger gratuitement (PDF).

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