Sketch de Jean-Pierre Martinez
Un personnage (homme ou femme) est là. Son téléphone sonne, il prend l’appel.
Un – Oui, Cindy… Qui ça ? Ah, oui, je l’avais oublié, celui-là. Quel emmerdeur… Non, non, faites-le entrer, sinon il ne va jamais me lâcher…
Un temps pendant lequel il consulte l’écran de son portable. Un autre personnage arrive (également de sexe indifférent).
Un – Ah, cher ami ! Entrez, entrez, je vous en prie.
Deux – Merci de me recevoir comme ça, à l’improviste.
Un – Mais je suis votre agent, après tout. Ma porte est toujours ouverte…
Deux – Ça fait trois semaines que je sollicite un rendez-vous. Sans succès…
Un – Désolé. Je suis très occupé ces temps-ci.
Deux – Alors j’ai décidé de venir. Sans rendez-vous.
Un – Mais vous avez très bien fait. Ça fait un moment qu’on ne s’était pas vu, non ?
Deux – En effet.
Un – Je crois que la dernière fois c’était… Non, je ne me souviens plus du tout en fait…
Deux – Ce n’était pas à l’enterrement de cet acteur qui est mort de faim après avoir vainement attendu pendant trois ans que son agent lui trouve un petit rôle ? Même alimentaire…
Un – Toujours le mot pour rire. Je suis content de voir que vous n’avez pas perdu votre sens de l’humour.
Deux – Je ne sais pas si ça va durer, je vous préviens.
Un – Alors ? Quel bon vent vous amène ?
Deux – Quel bon vent m’amène ? Ça fait des mois que vous m’avez promis un rôle au cinéma. J’attends toujours…
Un – En ce moment, c’est difficile. C’est la crise, vous savez…
Deux – Vous venez de me dire que vous étiez très occupé.
Un – Beaucoup de projets ont été arrêtés faute de financement. Même avec des têtes d’affiche…
Deux – Et l’exception culturelle française ? Ces subventions entre amis qui font l’admiration du monde entier tout en creusant le déficit de l’État ?
Un – Les subventions se font rares, croyez-moi. Autrefois, il suffisait de connaître une simple secrétaire au Ministère de la Culture pour décrocher l’avance sur recettes. On pouvait tourner n’importe quelle daube et la projeter dans des salles vides sans prendre aucun risque financier. Maintenant, il faut au moins connaître le ministre. Et le ministre change tous les trois mois !
Deux – On pourrait aussi envisager de tourner de bons films, susceptibles de faire quelques millions d’entrées, et qui s’autofinanceraient.
Un – Malheureusement, en France, le succès est synonyme de vulgarité.
Deux – Oui. « Populaire » ou « grand public » sont devenus des gros mots. Et c’est avec les impôts des pauvres qu’on fait des films pour épater le bourgeois.
Un – Vous savez ce qu’on dit : subvention de la culture, culture de la subvention…
Deux – Il y a quand même des films qui se tournent, non ?
Un – Oui… Des comédies, justement. Surtout des navets, il faut bien le dire.
Deux – Je préférerais jouer dans des navets que de ne pas jouer du tout. Et puis beaucoup de grands acteurs ont fait carrière en tournant principalement dans des navets.
Un – Oui… Mais la comédie…
Deux – Quoi ?
Un – Il faut reconnaître que vous n’êtes pas vraiment un acteur comique.
Deux – Ah, oui ? Et pourquoi ça ?
Un – Je ne sais pas… Quand on vous voit, comme ça… On n’a pas spécialement envie de rire.
Deux – La télé, alors. Il n’y a que des films sinistres, sur Arte. Vous devriez pouvoir me trouver un rôle à ma mesure.
Un – Arte… C’est surtout des coproductions. Avec les Allemands, principalement. Et pour ce qui est des acteurs sinistres, les Allemands ont déjà tout ce qu’il faut, croyez-moi. Vous parlez allemand ?
Deux – Non.
Un temps.
Un – Sinon… j’aurais une pub, à la rigueur.
Deux – Une pub ?
Un – Par les temps qui courent… C’est mieux que rien. Vous passerez quand même à la télé.
Deux – C’est une pub pour quoi…?
Un – Les saucisses de Strasbourg.
Deux – Je suis végétarien.
Un – Ce sera un rôle de composition…
Deux – Une pub pour les saucisses… Et c’est quoi, le rôle ?
Un – Un type qui mange des saucisses. À Strasbourg.
Deux – Ouais…
Un – Ça vous intéresse ?
Deux – Va pour les saucisses.
Un – Évidemment, il faudra passer le casting.
Deux – Évidemment.
Un – Et après on dira que les agents, ça ne sert à rien !
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Brèves de coulisses
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