Sketch de Jean-Pierre Martinez
Un personnage est là. Un deuxième arrive.
Un – Tu crois qu’on se souviendra de nous après notre mort ?
Deux – Tu veux dire… les gens qui nous ont connus quand on était vivants ? La famille, les amis…?
Un – Non, je veux dire… après. Quand tous les gens qui nous ont connus seront morts eux aussi.
Deux – Je vois… Est-ce qu’on passera à la postérité ?
Un – Pourquoi pas ?
Deux – Il faudrait qu’on ait fait quelque chose de vraiment significatif, non ?
Un – Admettons qu’on ait fait quelque chose de vraiment de significatif.
Deux – D’accord… Genre… Libérer la France, comme le Général De Gaulle.
Un – De Gaulle, c’était il n’y a pas si longtemps que ça. Et il y a encore des gens qui l’ont connu personnellement… Rien ne dit que dans une centaine d’années…
Deux – OK… Alors là on parle plutôt de rester à jamais dans la mémoire collective.
Un – Qu’est-ce qu’il faut faire pour accéder à l’immortalité, à ton avis…?
Deux – Exterminer des millions de personnes, comme Hitler ou Pol Pot ?
Un – Disons en laissant plutôt un bon souvenir, tant qu’à faire.
Deux – Découvrir l’Amérique, comme Christophe Colomb…?
Un – Je ne suis pas sûr que les Indiens en gardent un si bon souvenir… Mais c’est vrai. C’était il y a cinq cents ans, et tout le monde s’en souvient encore.
Deux – Fonder une religion, comme Jésus-Christ…
Un – C’était il y a 2000 ans.
Deux – Et on risque de s’en souvenir encore pendant pas mal de temps.
Un – Ouais, mais certains sont connus depuis encore plus longtemps.
Deux – Ouais…
Un – Tu sais qui est l’être humain le plus ancien dont on se souvient encore aujourd’hui ?
Deux – Lucie ?
Un – Lucie, ce n’est qu’un tas d’os. Le squelette n’est même pas complet. Et on ne sait rien d’elle.
Deux – On sait que c’était une femme.
Un – C’est un peu mince pour passer à la postérité. Surtout qu’elle ne s’appelait sûrement pas Lucie de son vivant.
Deux – Bon… Qui alors ?
Un – Le pharaon Narmer. Il vivait il y a cinq mille ans. C’est le personnage historique le plus ancien dont on se souvienne encore de nos jours, pour avoir unifié la Haute et la Basse Égypte.
Deux – Moi je ne m’en souviens pas.
Un – Les égyptologues, eux, s’en souviennent.
Deux – Et quand il n’y aura plus d’égyptologues ?
Un – Il y aura toujours des égyptologues, non ?
Deux – Toujours, tu crois ? Et quand la Terre aura été détruite par la folie des hommes ?
Un – Il restera bien encore quelques égyptologues parmi les survivants.
Deux – Et quand le Soleil aura absorbé la Terre, dans cinq milliards d’années ?
Un – D’ici là, les hommes auront peut-être trouvé le moyen d’aller coloniser une autre planète.
Deux – En emmenant avec eux un égyptologue ? Je ne suis pas sûr qu’on choisira de sauver ceux-là en premier…
Un – Ça restera quand même dans les livres d’égyptologie.
Deux – Et quand l’univers s’autodétruira, par le big crunch ou le big freeze, selon la théorie qui se vérifiera à ce moment-là ?
Un – Ouais… À ce moment-là, il n’y aura plus personne pour se souvenir de nous, c’est sûr.
Deux – En même temps… Il y a déjà beaucoup de gens qui nous ont oubliés, alors qu’on n’est même pas encore morts.
Un – Tu as raison… À quoi bon s’emmerder à essayer de faire quelque chose de significatif pour accéder à l’immortalité. Si de toute façon, à long terme, on est tous condamnés à tomber dans l’oubli.
Un temps.
Deux – On va reprendre un verre pour oublier cette triste réalité…
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Trop c’est trop !
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