Sketch de Jean-Pierre Martinez
Deux personnages dans une cellule de prison.
Un – Ça fait combien de temps que tu es en prison, toi ?
Deux – Ça fera dix ans le 25 décembre.
Un – Le 25 décembre ? T’avais buté le Père Noël pour lui braquer sa hotte ?
Deux – Presque… J’ai buté le Père Fouettard pour qu’il arrête de me filer des gnons…
Un – Et tu as pris perpète pour ça ?
Deux – Les juges aussi ont des enfants. Ça leur file les jetons, les gosses qui butent leur paternel pour des raisons aussi futiles.
Un – Celui qui t’a condamné devait battre ses gosses aussi. Ou pire…
Deux – J’aurais dû le faire deux ans plus tôt. J’étais encore mineur, la peine aurait été moins lourde.
Un – Réfléchir trop longtemps, ce n’est jamais bon.
Deux – Et toi ?
Un – Moi ? Je ne sais plus…
Deux – Tu ne sais plus pourquoi tu es là ou tu sais plus depuis quand ?
Un – Pourquoi, je préfère oublier. Et depuis quand… Au bout de vingt ans, j’ai arrêté de compter.
Deux – Je commence à me demander si on nous libérera un jour.
Un – Je ne suis pas sûr d’avoir encore envie de sortir.
Deux – Pourquoi tu dis ça ?
Un – Après toutes ces années au placard… Dehors, on ne reconnaîtra plus rien. Ni personne.
Deux – Et personne ne nous reconnaîtra plus.
Un – Le dernier café que j’ai pris à un comptoir de bistrot, je l’ai payé en francs, tu te rends compte ?
Deux – C’est comme si on était morts depuis tout ce temps. Enterrés vivants. Un jour, on nous replongera brusquement dans la vie. Ce sera comme une deuxième naissance.
Un – Mais au lieu d’être des nouveaux-nés, avec des parents pour s’occuper de nous, on sera des vieillards, sans personne pour nous tenir la main.
Deux – Comme des poissons qu’on replonge dans la mer et qui ne savent plus nager. Parce qu’ils sont restés trop longtemps hors de l’eau.
Un – C’est con, ce que tu dis… Hors de l’eau, de toute façon, ils meurent asphyxiés, les poissons.
Deux – Ouais… Je me sens comme un poisson dans l’air.
Un – On a fini en taule parce qu’on était inadaptés à la vie en société. Est-ce qu’après trente ans de placard on sera plus adaptés qu’avant ?
Deux – On n’a pas fait les bons choix, c’est tout. Qu’est-ce que tu voulais faire, toi, quand tu étais gosse ?
Un – Quand on jouait aux gendarmes et aux voleurs, je voulais toujours être gendarme. Je ne sais pas où ça a merdé. Et toi ?
Deux – Moi je voulais être astrophysicien. Mais j’étais trop bête.
Un – C’est quoi astrophysicien ?
Deux – Les étoiles, les planètes, tout ça.
Un – Ah ouais… L’astrologie, quoi. Tu es de quel signe toi ?
Deux – Poisson.
Un – Ah ouais…
Deux – Qu’est-ce que tu en penses, toi ? Tu crois qu’on est seuls dans l’univers ?
Un – En tout cas, on est seuls au monde. Alors qu’est-ce que ça peut nous foutre, s’il y a des martiens ou pas ?
Deux – On a pris perpète. Une invasion extraterrestre, il n’y a plus que ça qui pourrait nous sauver, non ?
Un – Ouais.
Deux – À la Révolution, on a pris la Bastille, et on a libéré les prisonniers.
Un – Alors c’est ça, ton plan d’évasion ?
Deux – Tu en as un autre ?
Un – Tu as raison, les Martiens, c’est le seul espoir qui nous reste.
Deux – Malheureusement, je n’ai pas encore trouvé le moyen d’entrer en contact avec eux.
Un temps.
Un – Et à supposer qu’ils existent, les Martiens, et que t’arrives à leur envoyer un message. Qu’est-ce que tu vas leur dire pour les convaincre de venir nous libérer ?
Deux – Je ne sais pas… Tu as une idée toi ?
Un – Ça dépend… À ton avis, les extraterrestres, ils sont du côté des gendarmes ou des voleurs ?
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Pour de vrai et pour de rire
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