Sketch de Jean-Pierre Martinez
Deux personnages (hommes ou femmes), debout côte à côte sur scène face au public, regardent devant eux deux tombes qu’on imagine. Le premier lorgne du côté du second.
Un – Bravo ! Voilà une tombe bien fleurie… C’est vraiment magnifique.
Deux – Merci… Mais c’est du travail, vous savez. Enfin, quand on voit le résultat, on oublie tout le reste…
Un – C’est sûr.
Deux – Et vos chrysanthèmes, ils viennent de chez le fleuriste d’à côté ?
Un – Pensez vous, je les cultive moi-même. Et attention, sans engrais, hein ?
Deux – Les chrysanthèmes bio, il n’y a que ça de vrai. (Un temps) Et… il est mort il y a combien de temps, le vôtre, si ce n’est pas indiscret ?
Un – Ça fera vingt ans exactement le 31 décembre.
Deux – Le 31 décembre ?
Un – Eh, oui… Un soir de réveillon. Vous imaginez comme j’avais le cœur à la fête…
Deux – Un os de dinde qui ne sera pas bien passé…?
Un – Non, il s’est fait renversé par une voiture… Un chauffard en état d’ivresse, qui n’avait même pas son permis.
Deux – C’est eux qu’on devrait tuer… Enfin, il est mort sur le coup. Il n’a pas souffert.
Un – Et le vôtre ?
Deux – Il y a cinq ans aujourd’hui. C’est son anniversaire…
Un – Alors c’est tout frais… Ça fait un vide, hein ?
Deux – Ça, vous pouvez le dire… J’en ai pris un autre, mais on a beau dire. C’est pas pareil. Ça remplace pas.
Un – C’est sûr.
Deux – Et vous, vous en avez repris un ?
Un – Non. Je n’ai même pas eu envie. Je sais que ça n’aurait pas remplacé…
Deux – Enfin… La vie continue, malgré tout. Vous avez des enfants ?
Un – Trois. Mais ça non plus, ça remplace pas, hein ?
Deux – C’est pas pareil. Surtout quand ça grandit. Et que ça vous quitte.
Un – Eux, si ils n’étaient pas morts prématurément, ils nous auraient jamais quittés.
Deux – Et oui… Mais bon… Ils vivent moins longtemps que nous, on le sait. On devrait être préparés…
Un – Malgré tout, quand ça arrive, ça fait un choc. Vous l’aviez trouvé comment, le vôtre ?
Deux – Par internet.
Un – Ah, oui… Moi, à mon époque, ça n’existait pas encore… J’ai récupéré celui de la voisine. Elle n’en voulait plus.
Deux – Il y a des femmes comme ça… Elles en prennent un, et après elles se rendent compte que c’est pas ce qu’elles avaient imaginé… Alors elles préfèrent l’abandonner… C’est triste, mais bon. Heureusement que vous étiez là pour le récupérer… Je suis sûre qu’il a été très heureux avec vous, tout le temps qu’il a vécu…
Un – Vous avez une photo ?
Deux – Regardez, il y en a une, là, sur sa tombe.
Un – Ah, oui, c’est vrai, j’avais pas fait attention… Mon Dieu, comme il était beau… Avec ses grandes oreilles…
Deux – Et encore, si vous l’aviez vu avec quelques années de moins. Avec le poil bien dru. Et le vôtre ?
Un (lui montrant la tombe) – Regardez…
Deux – Ah, oui… Tout frisé… Il avait une bonne tête…
Un – C’était un amour…
Ils soupirent.
Un – Bon, il va falloir qu’on y aille. Je crois qu’ils n’attendent plus que nous pour fermer.
Deux – Vous venez souvent ?
Un – Le plus souvent possible. Mais ça fait loin quand même… Et vous ?
Deux – Moi, j’habite à côté, heureusement. Je peux venir tous les jours…
Un – Alors on se reverra sûrement.
Deux – Si Dieu le veut.
Ils commencent à partir.
Un – Et le vôtre, il est mort de quoi ?
Deux – Oh… Une longue maladie, comme ils disent quand ils ne savent pas. À la fin, il souffrait tellement… J’ai dû le faire piquer.
Un – Allez, pensez que là où ils sont, ils ne souffrent plus.
Deux – Vous croyez qu’il y a un paradis pour eux aussi ?
Un – Allez savoir… Il y a bien des cimetières…
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Morts de rire
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