Sketch de Jean-Pierre Martinez
Un couple, assis sur un canapé. Ils ne parlent pas et ne se regardent pas. Ils semblent s’emmerder. Il se met à chercher quelque chose, mais ne le trouve pas.
Lui – Tu n’aurais pas vu la télécommande ? Elle a disparu…
Elle le regarde, étonnée.
Elle – Mais… on n’a plus de télé!
Lui – Ah oui, c’est vrai…
Silence.
Lui – Qu’est-ce que tu ferais si je disparaissais ?
Elle le regarde, interloquée.
Elle – Comme la télécommande ?
Lui – Mais non, pas comme la télécommande ! Si je disparaissais, tu vois ce que je veux dire…
Elle – Tu ne te sens pas bien ?
Lui – Si, si, ça va. C’est juste une hypothèse.
Elle – Tu n’as pas une hypothèse plus gaie ?
Lui – Je suis plus vieux que toi. Je partirai sûrement avant.
Elle – On n’a que trois ans de différence…
Lui – Les femmes vivent plus longtemps que les hommes ! Et puis je peux avoir un accident. Une crise cardiaque. Un cancer.
Elle – Moi aussi !
Lui – Oui, mais c’est moi qui ai posé la question le premier.
Elle – Je ne sais pas. Il sera toujours temps d’y penser.
Lui – Il vaut mieux prévenir…
Elle le regarde, ne comprenant pas.
Lui – Je veux dire, il vaut mieux prévoir.
Silence.
Lui – En tout cas, je te préviens, je préfère être incinéré.
Elle – Pourquoi tu me dis ça maintenant ?
Lui – Ben, je ne vais pas te le dire après, hein ? (Un temps) C’est ma hantise, ça. D’être enterré vivant. Pas toi ?
Elle – Ça ne doit pas arriver très souvent.
Lui – Il suffit d’une fois.
Elle – Et d’être brûlé vif, ça ne t’angoisse pas ?
Il la regarde, inquiet.
Lui – Je n’avais jamais pensé à ça… (Un temps) Tu crois qu’il y a une vie après la mort ?
Elle – Est-ce que c’est vraiment à souhaiter… ?
Lui – Tu n’aurais aucun souci à te faire du point de vue financier, tu sais…
Elle (surprise) – S’il y avait une vie après la mort, tu veux dire ?
Lui – Si je venais à disparaître !
Elle – Ah oui… Je n’étais pas inquiète.
Silence.
Lui – Je ne t’en voudrais pas si tu te remariais.
Elle – Merci.
Lui – Enfin, vous n’êtes pas obligés de vous marier, non plus.
Elle – Qui ça, nous ?
Lui – Toi et lui. Le type avec qui tu te recaserais. Autant garder ton indépendance.
Elle – Quelle indépendance ?
Lui – C’est marrant, j’ai du mal à t’imaginer avec un autre mec, quand même…
Elle (vexée) – Tu crois que personne ne voudrait de moi ?
Lui – Si, si. justement. En fait, je pense que je serais jaloux.
Elle – Quand tu seras mort, tu seras jaloux ?
Lui – Oui…
Elle – Et si je disparaissais avant toi ?
Lui (de mauvaise foi) – Là, tu me prends de court. (Un temps) Si je me recasais, tu m’en voudrais ?
Elle – Je ne serais pas là pour le voir.
Lui – Mais tu serais jalouse… ?
Elle le regarde, méfiante, mais ne répond pas.
Lui – Avec qui tu me verrais ?
Elle – Tu veux que je te présente une copine, au cas où, c’est ça ?
Lui – Ben, pour les enfants, il y a les parrains et les marraines… Pour les députés, c’est pareil. Il y a les suppléantes. S’il y en a un qui meurt ou qui démissionne, on a immédiatement une remplaçante. C’est prévu…
Elle – Oui… Pour les voitures, il y a les roues de secours. En cas de crevaison… (Inquiète) Tu n’es pas en train de me dire que tu m’as déjà trouvé une suppléante… ?
Lui – Ben, ce n’est pas si évident, que ça, hein ?
Silence.
Lui – L’avantage avec la bigamie, c’est qu’en cas de décès, on n’est qu’à moitié veuf.
Elle le regarde, sidérée.
Elle – Oui…
Noir.

Toute représentation, gratuite ou payante, doit être autorisée par la SACD.
Sketch extrait du recueil Elle et Lui
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